UTL - "La crise de l'autorité" - Roland Le Clézio le 11 mars 2019

 

UTL des pays de Chateaulin, Crozon, Le Faou

11 mars 2019

 

La crise de l’autorité

Roland Le Clézio

Professeur agrégé de philosophie

 

Cette crise est générale car elle touche toute la société, la famille, l’école, les représentants de l’autorité, les élus de quelque tendance qu’ils soient… C’est le résultat de la désinformation et de l’intox : les medias en sont friands.

Elle est profonde car elle atteint les fondements mêmes de la société, son fonctionnement et sa cohésion.

 

  1. Qu’est-ce que l’autorité ?

Elle n’est pas domination, relation dans laquelle le dominé est un instrument au service du dominant. Relation au profit d’un seul.

Elle n’est pas pouvoir, relation au profit de tous, avec l’idée d’une coordination pour un minimum d’ordre, d’un accord sur un organigramme, une institution.

L’autorité est la capacité à obtenir une obéissance volontaire, sans discussion, sans marchandage, sans l’usage de la force. Celui qui a l’autorité prend la peine d’expliquer ce qu’il veut, sans justification. On obéit à l’autorité parce qu’on a confiance : les deux parties reconnaissent leur place (ex : le maître d’apprentissage et l’apprenti).

Sur quoi est fondée l’autorité ?

Dans l’Antiquité, elle reposait sur les traditions. Le Sénat romain avait pour tâche de vérifier la conformité des actes du pouvoir aux traditions de Rome : à travers les sénateurs, les sages, les anciens, c’est le passé qui faisait autorité.

Au Moyen Âge, l’autorité est fondée sur la tradition religieuse, philosophique, la qualité, le charisme d’un auteur dont les écrits s’imposent à la méditation. L’Eglise a laissé le pouvoir aux princes, elle a l’autorité qui permet la transmission des valeurs, et apporte le supplément d’âme, le surcroît de légitimité nécessaires pour obtenir l’obéissance consentie.

 

  1. La crise arrive avec la modernité

La Renaissance voit l’arrivée de l’imprimerie, des grandes découvertes, de la réforme luthérienne, du progrès scientifique et des bouleversements philosophiques et politiques. On se détache de la tradition car l’ultime source c’est la raison : ainsi naissent l’esprit critique, le doute, la libre expression, l’autonomie de la réflexion. Au plan politique, Rousseau affirme dans le Contrat social que l’autorité provient d’un contrat passé entre les membres du peuple. C’est le futur qui fait autorité avec la raison et le progrès. Le futur est fragile car comme le dit de Tocqueville, on est entraîné par le renouveau incessant du progrès. Le temps se délite. Sous la troisième République il y eut un moment de synthèse entre les valeurs du passé et celles du futur.

Arrive la deuxième crise de l’autorité : les mythes révolutionnaires s’effondrent, des dictatures naissent, l’autorité est déconsidérée. A qui faire confiance ?

La postmodernité, l’hyper modernité nous font entrer dans la troisième crise et font apparaître de nouvelles tendances :

Il n’y a plus de société plurielle, mais une juxtaposition de communautarismes, chacun avec une autorité différente.La démocratie est vécue comme la tyrannie du plus grand nombre. On veut plus de liberté, d’égalité et les individus n’obéissent qu’à leurs propres valeurs.

Les individus se méfient de la science, mais font confiance à «quelqu’un» sur internet.

Autrement dit, ni le charisme, ni la tradition, ni la légalité (respect des lois) ni la rationalité et la compétence, ne font plus autorité.

Le temps donnait un sens à nos vies, il s’est accéléré, le monde est devenu un village et les internautes créent des mondes culturels séparés. Ainsi l’autorité devient-elle diffuse, sans auteur, sans responsabilité. C’est l’autorité des rumeurs !

 

  1. Peut-on redonner du sens à l’autorité ?

Par la pédagogie : il est important de valoriser l’autorité de la tradition, fondement solide pour transmettre un héritage culturel. L’esprit critique, la communication, la créativité, la coopération ont besoin de racines, car le nouveau pousse sur le passé.

Par la valeur des buts poursuivis : l’adulte doit être promoteur de l’humain, mettre en cohérence le dire et le faire, savoir refreiner ses propres envies et obéir à la loi qu’on s’est prescrite car elle est liberté.

Par l’apprentissage du débat : il faut écouter d’abord, pour comprendre la pensée de l’autre et ne pas vouloir avoir toujours raison. Il faut nous interroger sur nos propres croyances, sur les domaines de compétences des uns et des autres, pour pouvoir soutenir ou critiquer.

Nous avons besoin d’autorité, mais nous ne la supportons pas : la crise durera tant que durera la crise de la démocratie.

 

 

 

E. G-D.

 

 

 



20/03/2019
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