UTL - "La mer et ses usages : des chants de marins aux marins d'eau douce" - par Frédéric Mallégol le 21 janvier 2019
La mer, ses usages à travers la chanson populaire
Frédéric Mallégol, professeur agrégé et conférencier
(le 21 janvier 2019)
«Homme libre, toujours tu chériras la mer» Ch. Baudelaire
Car la mer se révèle «actrice impériale de notre société», elle nous renvoie une image de notre société que nous a «chantée» et illustrée M. Mallégol.
Du 18ème siècle à 1945, la mer a servi nos usages professionnels : le métier de marin, la vie à bord, les mutations qui arrivent avec le 20ème siècle :
- le métier de marin, c’est d’abord, la Royale, les arsenaux et l’Angleterre rivale : Le 31 du mois d’août célèbre la prise de la frégate Kent par Surcouf. Le prestige de la marine au moment de la première guerre mondiale est célébré par Les gars de la marine.
- c’est aussi le métier de pêcheurs : La Paimpolaise évoque les morutiers et leur vie difficile et précaire.
- c’est le métier du commerce, en particulier le commerce triangulaire qui enrichit quelques villes comme Bordeaux, La Rochelle et Nantes : Jean-François de Nantes.
Quel que soit le métier, la vie à bord est contraignante (promiscuité, discipline, nourriture) et dangereuse. Adieu chers camarades. Mur des disparus à Ploubazlanec, ex-voto, traduisent l’angoisse évoquée par Victor Hugo dans Océano Nox. Les chants sont marqués par la chrétienté, mais à partir de 1930, les chansons sont réalistes, laïques : Les goélands, l’étranger. La vie à bord c’est le lieu de l’équipage, de la fraternité ; les chants rythment le travail ensemble, le courage, l’exemplarité et la détente sur le gaillard d’avant où on chante l’alcool et les femmes : Les filles de la Rochelle. La mer est le reflet de la société patriarcale de l’époque où la femme est soit la paimpolaise soit la fille du port. La vie à bord c’est aussi l’univers de l’aventure, de tous les possibles, de la liberté.
Le progrès avance, mais les mutations industrielles sont passées sous silence. C’est le temps des colonies, l’ouverture au monde et sa domination ; c’est l’invitation au voyage et aux amours ultra-marines : J’ai deux amours, Ma petite tonkinoise. Le temps du tourisme balnéaire, des paquebots luxueux, des loisirs suit naturellement : Sur les bords de la Riviera. L’usage de la mer est pluriel de 1945 à nos jours. Les usages professionnels sont en déclin : le temps de la pêche au loin est révolue Loguivy-de-la-mer ; elle est caricaturée : La pêche aux moules, le rêve du pêcheur.
La Marine est en berne, faute d’ennemi, de service militaire et depuis 1968 à cause de l’antimilitarisme. Les Village People aiment se retrouver entre hommes : In the Navy. La mondialisation rend le commerce maritime inhumain, le travail est aliénant : Cargo de nuit. Cependant certaines permanences culturelles liées à la gaudriole, l’alcool, les femmes, l’aventure et la solidarité demeurent : quand la mer monte, les filles du bord de mer, Amsterdam, les copains d’abord. C’est le temps des recueils et des festivals de chants marins.
Désormais on entre avec les chansons dans une quête de paradis perdu, dans une muséification de la mer : Tous les bateaux, tous les oiseaux, Méditerranée, La mer, Belle île en mer, Syracuse. On entre dans le civilisation des loisirs pour tous : on cherche le divertissement par le tourisme balnéaire, les croisières ; on évolue en bikini, on découvre le naturisme : le ciel le soleil et la mer, dès que le vent soufflera, itsy bitsy tout petit bikini, tout nu tout bronzés, l’été indien, sea sex and sun. La mer est devenue un idéal de vie non pour un équipage mais pour un individu héros d’une aventure : c’est la célébration de l’hédonisme : surfing in USA, il tape sur les bambous.
Grands sont cependant les silences de la mer, la société a mauvaise conscience : quid de la pollution, des zones de trafic, de la piraterie, des migrations…Laissons-nous cependant entraîner par Charles Aznavour : emmenez moi.
Un grand merci à M. Mallégol pour ce voyage marin à travers le temps.
E G-D
Trégarvan le 28 janvier 2019